La Shaw Brothers revient! A l'occasion des 10 ans de Wild Side, remise en avant de l'ensemble de la collection en DVD ! Tous restaurés et accompagnés de bonus, les 46 films seront proposés en coffret 2 DVD thématiques à partir du 15 mars, ainsi que 2 coffrets Trilogie DVD / Blu-ray. Ce blog est modéré par Frédéric Ambroisine, conseiller éditorial de la collection depuis sa création en 2004 et spécialiste du cinéma hongkongais.

"Les 14 Amazones" est film de guerre historique (au sens propre comme au figuré) fortement teinté d’arts martiaux, qui conte la lutte acharnée de 14 guerrières de la Chine ancienne contre les envahisseurs Mongol qui ont massacrés leurs maris et fils. Il est probable qu’une partie du public occidental soit déconcerté du fait que l’actrice Lily Ho – alors âgée de 24 ans - interprète Yang Wen-kuan, jeune guerrier de 15 ans et seul survivant male du clan Yang.



Yang Wen-kuan (Lily Ho) entouré des Amazones

Cette performance surprenante, qui lui valut un prix d’interprétation, n’était pas la première du genre, puisque Ivy Ling Po s’était carrément spécialisée dans les rôles masculins depuis sa révélation dans le superbe "The Love Eterne" de Li Han-hsiang* en 1963. Sept ans plus tard, Ivy Ling Po change de sexe - à l’écran bien sûr- en incarnant la courageuse et patriotique guerrière Mu Kuei-ying, épouse du petit-fils de la Grande Dame She Tai-chun (la reine des Amazones incarné par Lisa Lu) et mère de l’inexpérimenté mais téméraire Yang Wen-kuan.


Ivy Ling Po dans le role de la guerrière Mu Kuei-ying

<Une partie de l’entretien suivant avant été publié précédemment dans le n°28 du magazine Kumite et l’autre partie dans le dossier de presse français officiel des  "14 Amazones". Ceci est donc la version intégrale de l'interview de la grande Ivy Ling Po>


Ivy Ling Po en 1969, un an avant le tournage des "14 Amazones"
  • Durant la conférence de presse annonçant le tournage des "14 Amazones", vous portiez le très beau costume de votre personnage de "Finger of Doom". Avez-vous été interrompu en plein tournage pour venir participer à cet événement ?

Non, pas vraiment. En tant qu’actrice de la Shaw Brothers à l’époque, la production s’occupait de mon planning de façon très précise, et je n’avais à me soucier de rien. Effectivement, durant la conférence de presse qui eut lieu au Miramar Hotel, je portais mon costume de "Finger of Doom". Je tournais tranquillement sous la direction de Pao Hsueh-li, avant que l’on ne vienne me chercher en voiture, ainsi que d’autres actrices de la Shaw Brothers, pour cette conférence.


Octobre 1970: Conférence de presse annonçant le début du tournage des "14 Amazones"

Cela n’a en aucun cas affecté le tournage du film. Généralement, les films de la Shaw Brothers n’étaient jamais tournés dans la continuité. Chaque scène était tournée en fonction des différents lieux de tournage. De plus, les différents plans de "Finger of Doom" n’étaient tournés qu’avec une caméra, et ce fut le cas également pour "Les 14 Amazones". Il fallait donc donner beaucoup de soi-même à chaque prise.


Ivy Ling Po et Chin Han dans "Finger of Doom" de Pao Hsueh-Li

Les acteurs font en général une petite pause le temps que l’équipe technique change d’axe. Donc, la conférence de presse pour l’annonce des "14 amazones" pouvait être considérée comme une grande pause pour moi.

  • Combien de jours avez-vous travaillé sur les "14 amazones ?"

Honnêtement, je ne m’en souviens plus. Je me rappelle néanmoins que le tournage des "14 amazones" a pris énormément de temps, à cause de l’ampleur du projet, de la logistique complexe, et du très grand nombre de figurants. Pour coordonner tant de personnes différentes sur un même film, l’organisation des plannings, des acteurs et de l’équipe technique a dû être établie de façon très précise.


Tina Chin Fei et Ivy Ling Po dans "Les 14 Amazones"

Le moindre petit changement dans ce planning pouvait affecter beaucoup de choses. C’est cette coordination qui a demandé le plus de temps, la réunion de tous « les ingrédients ». Quelquefois, après avoir longuement réfléchi à une scène, le réalisateur Chen Kang pouvait y apporter un changement de dernière minute, et cela entraînait bien sûr, un bousculement gigantesque.

  • Votre préparation physique pour le rôle de Mu Kuei-ying, fut-elle éprouvante ?

Bien sûr, mon entraînement a été très éprouvant car je ne suis pas une artiste martiale de formation. D’un autre coté, les performances martiales que l’on m’a demandé de réaliser n’étaient pas très difficiles non plus. Toutes les scènes d’action des "14 Amazones" ont été supervisées par des chorégraphes professionnels qui nous entraînaient habituellement sur les lieux même du tournage. Nous nous exercions deux ou trois fois avant le tournage de chaque scène et c’est tout. De plus, nous devions tourner de nombreuses prises avant que le réalisateur ne soit satisfait. Il fallait qu’il puisse visualiser la façon dont il allait monter toutes les scènes tournées en étant raccord.


Lisa Lu et Ivy Ling Po
  • Que connaissiez-vous de la famille Yang avant de tourner le film ? Est-ce une légende ou une histoire vraie ?

Je pense que c’est une histoire vraie. Elle est connue depuis tant d’années, et a inspiré tant de films et de séries. Et chacune de ces adaptations propose une version différente de l’histoire des Yang. Leur existence n’a jamais été prouvée dans les livres d’histoire, mais je veux croire qu’il s’agit d’une histoire. Evidemment, je n’en suis pas certaine car je ne suis pas une historienne.


Ivy Ling Po se déchaine dans "Les 14 Amazones"
  • Tourner un film d’action épique comme "Les 14 Amazones" à du vous changer des Huangmei Diao dans lesquels vous avez joué auparavant ?

"Les 14 amazones" m’ont demandé beaucoup plus de travail que sur mes films musicaux mêmes si la charge émotionnelle dégagée est équivalente. Quand vous jouez dans un drame comme "The Love Eterne", l’histoire racontée est transmise grâce à une chanson et une gestuelle. Dans "Les 14 amazones", je n’ai pas vraiment pu appliquer cette méthode. Pour transmettre les émotions de mon personnage sans l’assistance d’une chanson, j’avais besoin de jouer plus de façon plus réaliste. Sans ça, mon personnage et l’histoire n’auraient pas pu être crédibles.


"Les Amants Eternels" (1963) de Li Han-hsiang avec Ivy Ling Po et Betty Loh Ti
  • Quel fut le comportement du réalisateur Chen Kang au moment du tournage ? Était-il sous pression compte tenu de l’ampleur de projet ?

Je pense qu’il l’était beaucoup. Je ne le savais pas exactement, mais je le devinais. Quand vous dirigez une super production avec un tel casting de stars, cela entraîne irrémédiablement une pression de la part des studios. Et Cheng Kang a du faire la part des choses entre l’aspect « star system » et l’aspect artistique des "14 Amazones". Par exemple, l’actrice Li Ching n’avait pas autant de dialogues à l’origine. Mais comme c’était une actrice déjà très populaire à l’époque, le réalisateur a dû être obligé de lui rajouter du texte. Durant le tournage, Cheng Kang a pleuré à quelques reprises. Il était vraiment sur le point de craquer. C’est l’acteur Yueh Hua qui venait le consoler et lui remonter le moral. A ce moment là, il est clair que la pression devait être sûrement extrême pour lui.


Les co-réalisateurs Charles Tun Shao-yung et Cheng Kang encadrent les actrices Wang Ping, Shu Pei-pei, Lily Ho et Li Ching
  • Avez-vous eu des soucis particuliers durant le tournage des "14 amazones" ?

J’avais extrêmement peur des chevaux. Il y eu précédemment, des films de la Shaw Brothers tournés avec d’autres acteurs et actrices, qui se sont terminés par de terribles chutes de chevaux. Sachant cela, j’avais des appréhensions bien justifiées. Mais comme mon personnage est très brave de nature dans "Les 14 Amazones", j’ai dû faire abstraction de cette phobie pour chevaucher et galoper. Un jour, le cheval n’a pas obéi à mes ordres. Il a commencé à galoper et ne voulait plus s’arrêter. J’ai eu la peur de ma vie ! Lorsque j’ai réussi à le stopper de façon miraculeuse, je suis descendue et j’ai commencé à pleurer. Un autre moment très effrayant fut la scène du pont humain. J’ai dû monter à une distance très élevée pour me retrouver au sommet. Les personnes qui étaient en dessous de moi avaient également très peur, car nous devions être à vingt pieds du sol.

  • Les séquences d’action des "14 Amazones", sont très barbares. Cela a dû vous changer de vos précédents films d’arts martiaux avec Hsu Tseng-Hung ?



Effectivement, la difficulté des précédents films d’arts martiaux dans lesquels j’avais tourné, n’avait absolument rien à voir avec celle des "14 amazones". Dans "Temple of the Red Lotus" de Hsu Tseng-Hung, et sa suite, "The Twins Swords" où j’incarnais une experte en arts martiaux toute de rouge vêtue, je pouvais terrasser mes adversaires en levant à peine le petit doigt. Ces scènes d’action plutôt orientées vers le fantastique, me demandaient très peu d’efforts physiques. Dans "Les 14 Amazones", j’incarne une personne « normale » et plus humaine, qui réussit à se battre de façon efficace surtout grâce à son courage, et sa volonté pour défendre le pays. Durant le tournage, j’ai dû pratiquer le maniement de l’épée et la lance de façon intensive. Physiquement, "Les 14 Amazones" est définitivement l’un des films les plus durs qu’il m’ait été donné de tourner.

  • Aviez-vous de bonnes relations avec vos partenaires ?

J’ai de bons souvenirs du tournage des "14 Amazones". Par exemple, l’actrice Lisa Lu, qui venait des Etats-Unis, avait droit à un traitement privilégié de la part de la Shaw Brothers. Grâce à elle, nous pouvions avoir de meilleurs plats. Nous n’aurions pas eu de traitement spécial en temps normal. De plus, la majorité de l’équipe mangeait à la cantine de la Shaw Brothers, où la nourriture était plutôt moyenne. Mais heureusement, la mère de Lily Ho, qui habitait à coté des studios, nous préparait des plats typiques de Hong Kong, vraiment excellents. Toute l’équipe du film se délectait de sa cuisine.


Ivy Ling Po, Li Ching et de très jeunes fans sur le tournage des "14 Amazones"
  • Quel est votre souvenir le plus mémorable durant le tournage du film ?

Mis à part les moments de frayeurs que j’ai eu à cheval et lors de la scène anthologique du pont humain, je me souviens d’un défi assez fou que j’ai relevé. Un jour, l’actrice Li Ching me provoque en me disant « Je te parie 30 $ que tu n’es pas capable de manger dix œufs d’affilée ». Et j’ai accepté. J’étais jeune, je n’imaginais même pas que j’aurais pu mourir en faisant ça. Après que j’eus englouti sept œufs, la mère de Lili Ho, insupportée par la situation me dit : « Ling Po ! Ne mange pas ces œufs, si tu veux les 30 $, je te les donne. » Et je réponds : « Non ! Quand je dis que je fais quelque chose, je le fais. Je suis honnête. Soit je perds, soit je gagne et j’ai décidé de gagner ». Ce jour là, j’ai sérieusement inquiété mon mari, Chin Han, qui jouait également dans le film. Il était vraiment furieux contre moi.


Préparation de la fameuse scène du "Pont Humain"
  • Qu’avez-vous ressenti en revoyant le film, 34 ans plus tard, pour l’inauguration du WIFT Hong Kong** ?

Cela m’a fait extrêmement plaisir de voir ce film, plus de trente ans après sa création. Mais j’étais aussi un peu mélancolique du fait que plusieurs personnes y ayant participé ne soient plus de ce monde aujourd’hui.


Ivy Ling Po aux Hong Kong Film Awards 2006
  • Qu’avez-vous à dire au public français qui découvrira le film pour la première fois en salle en 2006 ?

Je suis extrêmement enchantée que ce film fait il y a plus de trente ans, soit enfin distribué en France. Et je suis aussi heureuse que le jeune public ait l’occasion de le découvrir au cinéma. Même si ce film a été fait il y a bien longtemps, l’esprit, le courage des femmes, sont des choses qui dureront toujours. Dans les temps anciens, il y avait des femmes courageuses, et je pense que cela n’a pas changé. La façon de tourner des films a évolué aujourd’hui, mais l’esprit du courage féminin, non. J’espère que le public français continuera de supporter le cinéma de Hong Kong.

Texte & Interview : Frédéric Ambroisine (mars 2005)
Merci à Patty Keung, Kenneth Bi & Ivy Yuen.

*"The Love Eterne" alias "Les Amantas Eternels" est tiré de la même histoire qui inspira "The Lovers" de Tsui Hark en 1994. Ce film est disponible en VOD sur Filmo TV.
**Women in Film in Television : association à but non lucrative possédant plus d’une quarantaine de branche dans le monde.

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